L’EXPERIENCE DE L’ASSOCIATION DES OULEMAS: LES MUSULMANS VIVANT EN France
Par: Youssef GIRARD-
L’Association des Oulémas est très rarement citée comme Référence, notamment par les différentes Associations musulmanes existant en France. Pourtant, l’Association des Oulémas fut certainement la première Organisation islamique à avoir une réelle implantation dans l’Hexagone. Dès le milieu des années trente, le cheikh Abdelhamid Ben Badis délégua le cheikh Foudil el-Ourthilani pour transmettre les idéaux de l’islah aux immigrés maghrébins. Ce dernier créa à Paris le Nadi Tahdhib (Cercle d’Education) et ouvrit une vingtaine de Cercles dans les principales villes de Province.
AMalgré cette expérience pionnière, l’activité de l’Association des Oulémas est encore trop peu connue de la Communauté musulmane vivant en France. Cette méconnaissance provient du fait que, d’un côté, les publications sur l’Association des Oulémas en langue française demeurent peu nombreuses et relativement difficiles d’accès et, de l’autre, qu’aucun courant musulman existant en France ne se revendique de l’héritage de l’Association des Oulémas.
Pourtant, l’expérience de l’Association des Oulémas est porteuse d’enseignements pour les Musulmans vivant dans l’Hexagone. L’Association des Oulémas a déployé son activité dans une Algérie sous domination coloniale, considérée comme trois Départements français, et au sein de l’immigration algérienne. Les islahistes algériens furent confrontés au même cadre juridique, celui de la laïcité française, que les Associations et les Acteurs du paysage islamique français actuel.
Ces derniers pourraient s’inspirer de trois orientations majeures tirées de l’expérience de leurs ainés de l’Association des Oulémas. Ces trois grandes orientations pourraient constituer des pistes de réflexion pour les Acteurs de l’Islam en France.
Tout d’abord, l’Association des Oulémas revendiqua l’application de la loi de 1905 sur la séparation des cultes et de l’Etat. En Algérie, la loi de 1905 ne fut pas appliquée à la seule religion musulmane qui restait sous la tutelle de la République laïque. Ce contrôle du culte musulman par l’Administration coloniale avait pour but de contrer toute mobilisation nationaliste s’appuyant sur l’Islam. Afin de lutter contre les ingérences de l’Administration dans les Affaires du culte musulman, l’une des principales revendications de l’Association des Oulémas fut l’application de la loi de séparation du culte et de l’Etat à la religion musulmane. L’application intégrale de la loi de 1905 représentait une libération du culte musulman de l’emprise du système colonial oppressif.
Ensuite, l’Association des Oulémas entreprit un vaste travail de revivification de l’identité arabo-islamique de l’Algérie bafouée par le colonialisme français. Afin de mener à bien cette entreprise, l’Association des Oulémas construisit un Réseau éducatif reposant sur les Cercles culturels et les Médersas. Le Cercle était un espace dans lequel se discutaient les questions culturelle, sociale, religieuse ou politique.
La Médersa était le point d’ancrage des islahistes dans chaque ville d’Algérie. Elle caractérisait la présence et l’action de l’Association des Oulémas. Au sein des Médersas, l’apprentissage de la langue arabe était perçu comme une double obligation : religieuse et patriotique. Il fallait apprendre l’arabe pour avoir accès directement aux textes sacrés et pour préserver l’identité nationale algérienne menacée par la politique coloniale de dépersonnalisation.
Enfin, l’Association des Oulémas mena une politique de défense de la personnalité arabo-islamique du peuple algérien. Au moment de sa constitution, l’Association craignait de voir la culture arabo-islamique disparaître d’Algérie sous les coups de la politique de dépersonnalisation menée par la France. Les islahistes craignaient notamment que la jeunesse algérienne éduquée dans le système scolaire français se détache de son identité arabo-islamique pour adopter celle de la puissance coloniale.
La francisation risquait de provoquer la disparition de l’ensemble des caractères sociaux et culturels du peuple algérien. Contre les dépersonnalisés rêvant d’une francisation improbable, l’Association des Oulémas mettait en avant l’arabité, qui exprimait l’ancrage civilisationnel de l’Algérie dans le Monde arabo-islamique. Partant d’une action religieuse et culturelle, l’Association des Oulémas aboutissait finalement à l’adoption d’une défense politique de l’arabo-islamisme qui était l’un des socles idéologiques du nationalisme algérien.
Malgré les luttes de Libération nationale, l’Etat postcolonial français n’a pas renoncé à ses perspectives assimilationnistes visant à dissoudre toute identité décrétée illégitime. Désormais ce sont les minorités ethniques et culturelles vivant dans l’hexagone qui subissent ces politiques oppressives destructrices de leurs identités. De ce fait, l’expérience de l’Association des Oulémas pourrait servir de référence aux Musulmans vivant en France.
Les trois axes, que nous avons déterminés, pourraient alimenter la réflexion des Acteurs musulmans : à l’heure où l’Etat postcolonial français s’immisce dans la gestion du culte musulman, les Musulmans devraient s’opposer aux ingérences de l’Etat afin que la gestion du culte musulman revienne uniquement aux Musulmans.
Dans le but de préserver et de transmettre la culture arabo-islamique, les Musulmans devraient mener une action éducative en créant les structures les mieux à même de répondre à leurs besoins. Enfin, il est nécessaire de défendre la personnalité culturelle arabo-islamique contre toutes les politiques de dépersonnalisation mises en œuvre par l’Etat postcolonial et ses structures satellites. Ces trois axes nous semblent pouvoir garantir une réelle autonomie de la Communauté musulmane vivant et activant en France, tant sur un plan religieux que culturel.