La Fonction De La Mosquée Selon Cheikh Ben Badis
Par: Youssef Girard
Dans un pays ne possédant aucune tradition islamique, la question des mosquées occupe une place majeure dans la réflexion de la communauté musulmane vivant en France: nombre souvent insuffisant de lieux de culte, financement ou encore style architectural. Certains courants néo–shu’ubites poussent leur désir mimétique jusqu’à appeler les musulmans à construire des mosquées copiant le style des églises romanes pour se « fondre » dans le paysage hexagonal. Le vaincu imite le vainqueur comme les vers continuent de ramper même lorsqu’ils sont foulés aux pieds.
Dans toutes ces réflexions, la question pourtant centrale de l’âme de la mosquée est rarement abordée. Revenir aux réflexions fécondes du cheikh Abdelhamid Ben Badis sur cette question fondamentale pourrait pourtant rendre un service considérable aux musulmans vivant dans l’hexagone. Au cours du Congrès de l’Association des ouléma qui se déroula en 1935 à Constantine, le cheikh Ben Badis expliqua la double fonction, spirituelle et éducative, de la mosquée : « Le lien qui existe entre la mosquée et l’enseignement est semblable à celui qui la rattache à la prière : s’il n’est point de mosquée sans prière, de même, il n’en est point sans enseignement ; l’Islam éprouve un même besoin de prière et d’enseignement ; il n’est point d’Islam sans prière, et point d’Islam sans enseignement. C’est pourquoi le Prophète prit soin de les établir tous deux au sein de la mosquée ».
S’il rappelait, évidemment, l’enseignement spirituel diffusé dans les mosquées, depuis celle du Prophète (BSDL) à Médine, le cheikh Ben Badis rappelait que, depuis l’aube de l’islam, « toutes les sciences » avaient pleinement leur place au sein des mosquées : « Les mosquées des territoires islamiques, de la période de Bassorah et de Koufa jusqu’à nos jours, ont gardé leurs portes grandes ouvertes à toutes les sciences, dont elles ont fait leur richesse ; et si les mosquées ont été dépourvues d’une partie de celle-ci au cours de la période récente, c’est en raison du retard général et de la faiblesse des musulmans dans le domaine des ressources vitales ».
Les propos du cheikh Ben Badis sur la fonction fondamentale de la mosquée nous ramènent au défit central auquel sont confrontés les musulmans vivant en France. Celui-ci ne réside ni dans une capacité d’accueil des croyants pour célébrer telle ou telle fête religieuse, ni dans un mimétisme architectural aliénant. En réalité, il réside dans notre capacité à faire face aux forces diluantes qui s’efforcent de dépersonnaliser et d’assimiler la communauté musulmane au nom d’un « progressisme » occidentalocentré, d’un national-républicanisme suranné ou d’une idéologie néo–shu’ubite dépersonnalisant. La mosquée devrait ainsi devenir le centre névralgique de la préservation de l’identité spirituelle et civilisationnelle de la communauté musulmane.
Pour remplir cette fonction, la mosquée ne saurait être réduite à une fonction de simple lieu de culte, où se réunirait une minorité de contemplatifs béats. La mosquée doit retrouver sa fonction de lieu d’éveil spirituel et de savoir global non-limité à l’enseignement de tel ou tel acte rituel. La réaffirmation de cette fonction originelle permettra à la mosquée d’être, par excellence, le lieu où seront abordés les problèmes fondamentaux de la communauté musulmane. Les questions sociales, économiques ou culturelles pourront y être débattues naturellement. Elle redeviendra ainsi un lieu vivant de réflexions et de débats comme elle l’était à l’origine. La mosquée sera l’incarnation de l’islam, « la religion d’Allah qui unit les deux félicités »(1), céleste et terrestre, comme la définissait cheikh Ben Badis.
(1) Abdelhamid Ben Badis, « La mosquée et l’enseignement », in. Abdel-Malek Anouar, Anthologie de la littérature arabe contemporaine, Paris, Ed. du Seuil, 1965, pages 87-90.